Une première œuvre, l’Accumulation Spirale Renault 4 fut montrée au pavillon français d’ Expo 67 à Montréal. Cette sculpture, ainsi que quelques pièces réalisées à la même époque, confirma Arman dans son désir de poursuivre et de développer ses travaux. La Régie Renault affirmant sa volonté d’expérimenter la possibilité de rapports nouveaux sur le plan « Art et Industrie » décida de mettre à la disposition d’Arman les moyens de donner à ses projets une autre dimension et de préparer un ensemble de pièces qui lui permettraient d’investiguer, sinon la totalité, tout au moins une large part des possibilités que cette rencontre lui avait fait découvrir. Ainsi, s’est constitué de 1967 à 1969, un groupe exceptionnel d’une soixantaine d’œuvres faisant appel à des techniques et à des matériaux variés, tôle emboutie, pièces mécaniques dans leur état définitif ou à des stades intermédiaires de leur fabrication, accessoires, fils électriques, et qui, en constituant l’essentiel du travail d’Arman pendant cette période, ont donné naissance à un nouveau développement de son langage.
Témoignage d’Arman, extraits d’entretiens avec Claude-Louis Renard en 1968, publiés dans « Arman, accumulations Renault » , catalogue d’exposition Musée des arts décoratifs, Paris 1969, pp. 15-28.
« …En ce moment je suis en train de travailler sur des problèmes d’objets industriels, de les accumuler ou d’en changer la qualité par des techniques qui d’habitude ne sont pas appliquées à ces objets … J’ai une théorie très simple, j’ai toujours prétendu que les objets s’auto-composaient eux-mêmes. Ma composition consistait à les laisser se composer eux-mêmes … Le hasard, il n’y a rien de plus contrôlable que le hasard pour finir. Quand le hasard dépend des lois, de quantité par exemple, il n’est plus le hasard. Le hasard c’est ma matière première, c’est mon blanc.
… J’avais depuis longtemps le projet de collaborer avec l’industrie mais une opportunité dans ce domaine ne se présente pas facilement. Ce qui m’intéressait surtout c’était dans le fond ma confrontation avec un système de production qui a toujours été un peu le paysage que j’ai cherché à rendre puisqu’un des buts sur un plan plus explicatif qu’esthétique, si l’on peut dire, de mon œuvre, a toujours été – production – consommation – destruction. La « production » se trouve presque être le mot clé de mon travail ; il était évident que la rencontre avec une grande entreprise industrielle serait fructueuse pour moi.
… En entrant chez Renault, j’étais déjà intéressé à plusieurs niveaux. Ayant utilisé auparavant des pièces mécaniques, je savais très bien ce que je pouvais faire avec les éléments mécaniques de l’automobile, et j’avais aussi un appétit pour des éléments de tôlerie comme les calandres par exemple. Jusque là, j’avais une image préconçue de la manière dont peut se monter une voiture et une image empirique, c’est-à-dire que je voyais se monter une voiture comme je la monterais chez moi après avoir acheté des pièces détachées. Ce que j’ai découvert surtout, c’était des objets à des états que je n’attendais pas, des états intermédiaires qui m’ont surpris.
… Il y eut plusieurs périodes dans mon travail pour cette exposition, avec des arrêts et des réflexions sur un parcours qui me permettaient de passer d’une étape à l’autre. Le point de départ a donc été l’accumulation spirale de Montréal, et plus largement une manière nouvelle d’envisager les éléments de tôlerie. En me montrant comment ces éléments étaient fabriqués et préparés avant d’être montés à l’usine, on m’a donné beaucoup d’appétit. Ensuite j’ai utilisé, d’une façon beaucoup plus classique pour moi, des éléments mécaniques et des éléments de petites ou de moyennes tailles comme les pales de ventilateurs et les losanges Renault, mais dès ce moment j’ai découvert des solutions différentes avec les fils électriques par exemple, les culasses sciées. Je m’aperçois aujourd’hui que ces travaux m’ont conduit à envisager un certain nombre des voies nouvelles auxquelles je pense actuellement, et ont non seulement modifié mon optique et mon expérience, mais ont eu et auront sur moi une action bien nette et définitive.
… Le fait d’avoir visité en détail les usines, plus que visité, d’y avoir un peu vécu, m’a confirmé la nécessité d’une forme d’existence moderne. Nous avons de plus en plus à former des groupes importants pour produire certains objets qui nécessitent une certaine forme d’industrie. J’avais une image théorique du travail d’équipe, de groupe, j’ai trouvé dans cette expérience une confirmation de ce qu’est vraiment un organisme, un grand organisme.
… Pour moi, le rôle de l’artiste n’est pas d’apporter directement quelque chose à l’industrie qui a ses coordonnées, ses buts précis et ses spécialistes qualifiés. Par exemple, il ne me viendrait pas à l’idée, bien que j’aie quelques connaissances esthétiques et autres, de suggérer quelque chose directement sur le problème automobile. J’ai été très impressionné par la chaîne de montage, cette espèce de mécanique énorme, cette tortue qui avance : on entre à une extrémité, on sort à l’autre et il y a un objet fini. Une espèce de magie convergente.
… Ce que Renault m’a apporté, c’est d’abord une énorme opportunité : on m’a lâché dans mon magasin de couleurs. C’est très important. Imaginez un peintre famélique à qui on ouvre les portes d’un magasin de couleurs, et à qui on a dit : allez-y, faites ce que vous voulez. C’est exactement ce qui m’est arrivé avec Renault. Dans le fond, comme mes couleurs ce sont des éléments de notre production industrielle et qu’on m’a laissé choisir exactement ce dont j’avais envie, c’est magnifique, c’est la fée de l’industrie. Grâce à la richesse des possibilités que j’ai eues, il y aura dans mon travail quelque chose de très différent de ce que j’aurais fait si j’avais seulement acheté quelques pièces. … Je peux dire que maintenant j’ai réalisé les pièces essentielles que je voulais faire, même s’il y a encore certaines choses dont j’ai envie… … J’estime que j’ai été absolument libre pendant cette expérience et que je n’ai subi aucune contrainte, même indirecte. J’ai fait ce que je voulais, comme je le voulais.
… C’est évident pour moi que dans les années qui viennent un certain nombre d’artistes continueront d’avoir faim du monde industriel. C’est un phénomène général. L’artiste est toujours « témoin de son temps », même si cette vieille expression a été prostituée, et l’appétit pour la technologie, pour l’industrie, se fera de plus en plus grand avec des formes différentes suivant l’artiste et l’entreprise. J’en suis intimement persuadé. »